Littérature
Les écrivains de l’Indochine / No 111 :
RENE JOUGLET
( 1884 – 1961)
Mais pourquoi donc messieurs
les éditeurs, n’aimez vous pas
publier les livres de ‘nouvel-
les’ ? Pourtant ces histoires
courtes, rassemblées sous une
même couverture, rappellent
ces colliers de pierres dures, où
des joyaux de toutes les cou-
leurs, accrochés à un même fil,
composent un bijou unique.
Histoires brèves, où l’art de l’é-
crivain est de surprendre son
lecteur en le menant vers une
fin inattendue.
René Jouglet est né à Gom-
megnies (Nord) le 19 mai 1884
et est décédé à Montrouge
(Hauts de Seine) le 21 août
1951.
Ecrivain de renom, il nous a
laissé plus de trente romans ou
récits de voyage, mais nous ne
nous intéresserons ici qu’aux
ouvrages rapportés de ses voya-
ges en Asie.
De retour de son premier
périple asiatique, qu’il appelle
lui-même le carnet de route
d‘un voyageur, il écrira ‘Dans
le sillage des jonques’ , publié
en 1935. Un voyage qui le mè-
nera de la Chine vers le Japon
puis l’Indochine.
Son oeuvre la plus originale
restera cependant les deux ou-
vrages qu’il consacrera ensuite
à un pays attachant mais oublié
de nos littérateurs, les Philippi-
nes. L’oeuvre sera double, avec
d’abord la description d’un vo-
yage à travers ‘Le coeur sauva-
ge des Philippines’ en 1934 et
un roman, ‘La ville perdue’ en
1936.
Etonnante histoire de deux
aventuriers partis à la recherche
du fabuleux trésor du plus
grand pirate qu’aient connu les
Mers de Chine, l’insaisissable
Limajong. Le pirate disparut
dans une tornade, mais les sacs
de doublons, les colliers de jade
et les Bouddhas d’or demeu-
raient amoncelés dans une île
inconnue.
Un vieux grimoire, rédigé au
XVIè siècle et retrouvé par nos
héros dans les archives du cou-
vent des Dominicains, faisait
Librairie du Siam et des
Colonies.
référence à un repaire du pirate
qui se situerait dans le mysté-
rieux pays des Cagayans, au
nord de l’île de Luçon.
Nos deux héros, le narrateur
et son jeune ami philippin,
Miguel, vont affronter ce coeur
sauvage de la grande île du
nord. D’abord lutter contre une
nature inhospitalière, avec ses
végétations exubérantes, ses
sables mouvants, ses marais aux
émanations délétères ; et puis se
heurter aux hommes, qui pro-
tègent leur territoire, ces cu-
rieux négritos, chasseurs de
têtes, qui ont installé leurs
villages en haut des arbres
de la forêt.
Et au bout de cet harassant
itinéraire initiatique, ils vont dé-
couvrir avec stupeur, là-haut, au
sommet de l’immense montag-
ne, la ville perdue, cette cité
oubliée des hommes, et où
vivent les derniers descendants
du pirate chinois. Reçus avec
courtoisie au sein de cette
communauté survivante de la
Vieille Chine, nos héros vont
bientôt comprendre qu’ils
peuvent aller et venir à leur
guise dans cette ville perdue,
mais qu’ils ne pourront plus
jamais la quitter, de peur qu’ils
n’en révèlent l’existence au
monde d’en-bas…
René Jouglet va faire pub-
lier son volume de nouvelles,
‘Le capitaine de Hong Kong’ en
1944 aux éditions Colbert.
Onze nouvelles asiatiques qui
composent un des meilleurs li-
vres de l’auteur. A travers les
lieux découverts et les mo-
ments vécus au cours de ses
nombreux périples en Asie du
Sud-Est, il nous emmène, par
de courtes histoires, de Bornéo
à Singapour, et des forêts du
Laos aux bouges de Canton.
Onze joyaux, accrochés à un
simple fil que l’on retrouve
dans chaque histoire : une
femme. Attention, des femmes
qui ne sont jamais banales, des
femmes souvent vénales, mais
des femmes toujours fatales.
Pauvre capitaine du petit
vapeur qui fait la liaison de Haï
phong à Hong Kong. Lui qui ne
vivait que pour Nataly, sa fem-
me et ses trois filles qui l’atten-
daient dans la petite maison de
Southampton, avec le potager,
la basse-cour et les hortensias
de Nataly, son triomphe. Hélas,
pourquoi a-t-il fallu qu’il ren-
contre un soir d’insomnie, sur
le pont, cette fille superbe, ‘au
teint bistre, un teint chaud de
brune absolue, des yeux longs
et humides de biche’, la sublime
Andiarah qui lui fera oublier les
hortensias de Southampton…
Et cette Mao, qui débarque
un matin dans le poste de l’ad-
ministrateur Chartier, tout là-
haut dans ce Tonkin perdu des
bords de la Nam-Ti. Une Mao
perverse, que Chartier avait
pourtant déjà répudiée autrefois
dans le Delta, quand il avait
appris au retour de son dernier
congé qu’elle avait su distraire
tous ceux de ses camarades qui
avaient pu lui offrir le moindre
bijou, fût-il en toc. Mais que
venait-elle faire ici ?
Ou encore Hia, la fille des
îles, au buste mince, les jambes
longues, enveloppée dans son
sarong, la frange noire descen-
dant jusqu’à ses yeux chauds…
Et cette fille sauvage, pure
Igorote, petite serveuse du bar
du Chinois dans la rue Escolta
de Manille ? Comment Stundy
pourra-t-il la conquérir ?…
Ah ! monsieur Jouglet, que
nous aimons vos jolies femmes
qui nous font rêver…
François Doré.