PAUL MUNIER

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    Littérature

    Les écrivains de l’Indochine / No 106 :
    PAUL MUNIER / 3
    (1887-1951)

    Décidément non, monsieur
    Munier, ce n’est pas avec des
    écrits pareils que vous pouviez
    plaire à l’Amiral Decoux !

    Paul Munier est à ce mo-
    ment là Contrôleur des PTT à
    Langson. Ses fonctions lui
    laissent le temps d’écrire, et là
    encore, sa hiérarchie adminis-
    trative lui en voudra plus tard.

    Point n’est besoin de vous
    précipiter vers vos Bailly et
    Gaffiot pour expliciter le titre
    de ce roman publié en 1925 à
    Lyon.

    Les deux héros du livre vont
    faire connaissance sur le pont
    du navire qui les emmène vers
    l’Indochine : Gaudius, l’opti-
    miste, personnage joyeux et qui
    ne voit que le bon côté des
    choses. C’est ‘un bon gros,
    à l’oeil qui a de la finesse et la
    bouche qui a de la bonté’. Et
    puis, Kholéas, le pessimiste,
    le taciturne, celui qui voit tout
    en noir, ‘maigre avec une figure
    amère et plus triste que mé-
    chante’. C’est le portrait même
    de l’auteur, ‘grand enfant exa-
    géré, tendre et violent, égaré
    parmi les hommes’.

    C’est un ouragan dans lequel
    est pris leur navire qui va pré-
    cipiter leur rencontre : les deux
    jeunes gens s’aperçoivent qu’ils
    sont tous les deux en route vers
    la même administration tonki-
    noise, ‘l’Administration du
    Temps Perdu, création nouvelle
    d’un gouverneur général, éner-
    gique et démagogue’…
    Le personnage est savoureux ;
    c’est au cours d’une partie de
    bridge que M.Casajoux, le
    Gougal, eut une révélation : le
    travail seul est rémunéré par un
    salaire, tandis que le temps où
    l’on ne fait rien, n’est lui pas ré-
    tribué ! ‘Alors où sont respectés
    là les immarcescibles et irréfra-
    gables principes de toute démo-
    cratie ?’. Et c’est ainsi que na-
    quit en Indochine la nouvelle
    administration du temps perdu,
    chargée de rémunérer les inac-
    tifs.

    Untitled

    Notons que si cette humoristi-
    que satire fait sourire, notre
    écrivain semble bien en avan
    ce sur son temps, puisque la
    Finlande du XXIème siècle
    prévoit l’instauration d’un
    ‘revenu universel’ versé à tous
    ses citoyens, actifs ou non-
    actifs, sous prétexte que le
    travail n’est pas forcément une
    finalité de l’être humain. Liber-
    té pour chacun de choisir de
    travailler ou pas. ( ?).

    Dans une suite de courtes
    vignettes, nos deux héros vont
    donc découvrir, chacun à leur
    manière, le monde indochinois
    qui les entoure ; tout est prétex-
    te à philosophie et chacun don-
    ne sa vison des gens et des
    choses : les pousse-pousse, les
    lucioles du jardin botanique,
    des passants qui se querellent,
    les méandres de l’Administra-
    tion, les indulgentes lois du
    mariage au Laos ou encore une
    visite chez les marchandes
    d’amour japonaises…
    Et puis aussi un long et savou-
    reux passage sur la nécessité de
    l’union avec une femme locale,
    et l’expérience de Kholéas, qui
    ‘dégoûté de l’amour tristement
    vénal qui est le lot le plus com-
    mun des jeunes gens esseulés,
    avait pensé s’en libérer en pre-
    nant une femme annamite chez
    lui, comme font tous ceux qui,
    là-bas, redoutent les ennuis, les
    déconvenues et les fâcheuses
    surprises des rencontres sans
    lendemains…

    Au total donc, pas vraiment
    un roman mais pourtant une
    seule image va se retrouver tout
    au long de l’ouvrage : celle
    d’une femme, blonde toulon-
    naise, rencontrée le premier
    jour sur le bateau, et dont Kho-
    léas va tomber follement a-
    moureux : ‘pas vraiment jolie,
    petite, le visage anguleux, mais
    des yeux noisette, chauds et
    lumineux, au charme infini’.

    Le hasard va permettre à
    Kholéas de retrouver la jeune
    femme : ‘Le sport le plus
    pratiqué au Tonkin est le tennis
    et à Hanoï, capitale aux airs de
    sous-préfecture, les endroits où
    se tiennent les plus scandaleux
    sabbats, au dire des vertueux,
    sont la philarmonique et le
    tennis’.

    C’est là que le pusillanime
    Kholéas va pouvoir faire une
    cour timide à la jeune femme. Il
    va rapidement apprendre
    qu’elle s’appelle Jeanne et
    qu’elle est mariée. Mariée oui,
    mais mal !
    Mais pourtant rien ne se passe-
    ra, tout restera à de légers frôle-
    ments de mains et à un baiser
    sur le front.
    Kholéas en sera profondement
    blessé. Peut-être d’ailleurs,
    faut-il voir dans cet obsédant
    échec, l’histoire même vécue
    par Paul Munier. Dans un
    surprenant prologue, l’auteur
    oppose deux femmes Conchita
    et Juana. Ne serait-ce pas là un
    reproche voilé à sa propre
    épouse, Carmen Dolorès, dont
    il vient de divorcer ?…

    Heureusement le roman
    permet de corriger les décep-
    tions de la vie : le drame qui
    clôturera l’histoire de Claudius
    et Kholéas, verra l’insensible
    Jeanne venir tendrement saisir
    la main de l’amoureux transi…

    François Doré.
    Librairie du Siam et des
    Colonies.