Littérature
Les écrivains de l’Indochine / No 114 :
LUCIEN BODARD
( 1914 - 1998 )
« Adieu, vieux Fleuve Rouge ! Après un long cours, tu es arrivé au bout de ton delta tu as retrouvé la mer. Pour nous qui sommes encore sur le rivage, parfois il nous semble que tu étais le Cua Cam, parfois le Day… Qu’importe ! Tu étais le Fleuve Rouge »…
Ainsi Pierre Schoendorfer saluait-il le décès de son ‘Vieux Lucien’ en mars 1998.
‘Lulu le Chinois’, l’appelait-on, lui qui était né à Chongqing en 1914. Oui, Chinois pour son masque, ‘curieux métissage de Gaulois et de Céleste’, mais il n’avait pas pour autant ‘cette légendaire impassibilité que l’on prête aux Asiatiques’. Ses colères, ses emportements, ses excès étaient craints de tous.
Mais pour le moment, c’est ‘Lulu l’Indochinois’ dont nous voulons garder le souvenir.
Lucien Bodard arrive en Indochine au début de 1947. Il est le nouvel envoyé spécial de l’hebdomadaire ‘France-Illustration’.
Après deux ans, alors même que le Général de Lattre de Tassigny arrive en Indo, Lucien est engagé par France-Soir.
Commence alors cette étonnante aventure qui va unir le journaliste et le guerrier. Est-ce de Lattre qui va faire Bodard, ou est-ce Bodard qui va faire le général ? Difficile à dire, mais pour tous les deux le rendez-vous est pris avec l’histoire ou plus exactement avec la légende de l’Indo.
Le général a compris que la guerre qui naissait ne se gagnerait pas uniquement dans les rizières du Delta ou les montagnes de la Haute Région, mais aussi dans les colonnes des journaux de la Métropole, où il fallait transformer une guerre impopulaire en une croisade héroïque du monde libre contre les forces obscures d’un ennemi implacable.
Une fois débarrassé d’une presse anglo-saxonne un peu trop Green à son goût, ‘le général vainqueur’ va soigneusement utiliser son camp de presse Bodard, Max Clos et les autres pour distiller les soubresauts quotidiens de l’Indochine en guerre.
Ce sera là le chef-d’œuvre de Bodard, rapporté tout au long de sa série de cinq titres, parus chez Gallimard de 1963 à 1967 sous le titre générique ‘La Guerre d’Indochine’. Pour Jean Hougron, ‘le meilleur livre paru sur cette guerre’.
Lucien Bodard n’écrira qu’un seul roman situé entièrement en Indochine : ‘La Duchesse’, paru en 1979 chez Bernard Grasset.
Nous sommes au Tonkin en 1885. C’est l’époque de la Conquête, des Pirates, des cruautés et des barbaries.
Le héros de la première partie du roman est un colonel à particule, scion d’une antique lignée, vrai duc, bel aristocrate aux yeux bleus et à la moustache fine. Il est à la tête de sa colonne dans les montagnes du pays Méo. Ou plutôt de ce qui reste de sa colonne car tous ses hommes survivants sont épuisés par des marches sans fin et des combats incessants contre les sanguinaires et insaisissables Pavillons Noirs.
La lutte est inégale et la fin est proche, lorsque le colonel tente sa dernière chance : s’allier aux farouches montagnards Méos qui exècrent les Chinois de la plaine.
La négociation est difficile. Les survivants de la colonne ont du mal à y croire. Et pourtant, les Méos acceptent l’alliance avec ces barbares étrangers qui possèdent les armes à feu qui leur manquent.
Mais attention ! L’alliance ne pourra se faire que quand le colonel aura épousé la fille du chef Méo, la jolie petite Niau…
Le colonel sera obligé de passer par ces épousailles sauvages. La petite méotte deviendra duchesse et Bodard trouvera là l’occasion d’une de ces descriptions qu’il affectionne, où tout n’est qu’excès, cruauté et folie et nous livre une littérature carrément pornographique.
La deuxième partie de ce long roman de plus de 400 pages est sans doute moins bonne que la première. Le colonnel-duc doit retourner dans son pays et abandonne Niau.
C’est alors que l’on découvre le héros de la deuxième partie du roman : Dieudonné Charles.
Il n’est qu’un petit fonctionnaire, mais se voit chargé par son patron d’une redoutable
mission : recruter des coolies chinois pour la construction du chemin de fer du Yunnan.
Pour cela, il doit se rendre à Monkay, à la frontière chinoise et négocier avec les Pirates et leur chef, la cruelle Madame Chi.
Et c’est alors qu’avec surprise, Dieudonné va rencontrer la Duchesse, sa future alliée ‘dans une case en bambou, d’où sortent des bolées de chahut vulgaire ; une rumeur où percent en gouttelette les pépiements des fillettes-oiseaux de l’Asie : le bordel de Monkay’.
Mais monsieur Bodard, pourquoi donc avoir laissé votre éditeur illustrer la couverture de votre roman avec la photo d’une femme Yao quand votre héroïne est une Méo ?
François Doré.
Librairie du Siam et des Colonies.