Littérature
Les écrivains de l’Indochine / No 113 :
GERALD SPARROW
(1903 - 1988)
Quel dommage ! oui, dommage
que ce témoignage si important
de l’histoire du Siam ait été
publié en 1964 dans les éditions
populaires du ‘Fleuve Noir’
et présenté comme un livre de
guerre de la collection ‘Feu’. Il
méritait beaucoup mieux…
La vie même de l’auteur, Gerald
Sparrow, est en soi toute une
aventure aux multiples rebondis-
sements. Il faut parcourir les sept
livres où il raconte son séjour de
vingt-quatre années au Siam et
essayer d’y faire la part de la
fiction et de la réalité.
Il a 26 ans lorsqu’il débarque
à Bangkok. Nous sommes en
1930 et Sparrow vient occuper
son poste de conseiller juridique
auprès de la Cour Internationale
de Bangkok.
Le Siam de cette époque, possé-
dait depuis le début du XXème
siècle des tribunaux d’exterrito-
rialité, chargés de juger les pré-
venus non-siamois. Des Anglo-
saxons ou des Français expa-
triés, mais aussi et surtout les
sujets des empires coloniaux
britannique et français qui ré-
sidaient au Siam : Indiens et
Malais pour le premier, Indo-
chinois pour le second.
Souvent Belges au début, les
juges furent par la suite Fran-
çais puis Britanniques sous
le Roi Prachadipok, ancien du
Collège d’Eton.
Les souvenirs du juge sont
passionnants : trafic d’opium,
crimes, vols, adultère, le jeune
homme découvre la réalité du
Royaume et de ses mœurs. De sa
barbarie aussi, lorsqu’il doit
assister à la décapitation au sabre
d’un citoyen indien et de sa
ravissante maîtresse malaise ; les
deux amants diaboliques avaient
organisé le meurtre de l’épouse
siamoise du garçon pour récupérer
son héritage…
Puis arrivera le temps des
tempêtes. Décembre 1941 : la
horde nippone déferle sur l’Asie
du Sud-Est. Le 8 décembre,
les Japonais occupent Bangkok
sans rencontrer aucune résistance.
Les étrangers civils sont arrêtés
et internés au bord de la Chao
Phaya, dans les locaux de l’U-
niversité de Thammasat, trans-
formée en camp de prisonniers
pour plus de 400 personnes :
Anglo-saxons, Australiens, Hol
landais, quelques Français et
une cinquantaine de femmes
vont y vivre en captivité pendant
près de quatre ans. Seuls les
Allemands et les Italiens
resteront libres.
Un épisode étonnant et très peu
connu de l’histoire de la Thaï-
lande.
Et c’est là que se situe le très
grand intérêt de toute l’œuvre
de Sparrow : il est un des rares
témoins à raconter la vie de
Bangkok sous l’occupation
japonaise et les détails des
quatre années de captivité dans
le camp de Tha Prachan.
Après la libération, en 1945,
les tribunaux d’exterritorialité
n’existent plus. Sparrow va
ouvrir un cabinet juridique privé
avec beaucoup de succès.
Puis, il deviendra propriétaire
du night-club à la mode, ‘La
Roulette’, célèbre pour ses
jolies danseuses exotiques.
Ce sera là sa dernière aventure
siamoise. C’est avec beaucoup
de tristesse qu’il quittera Bangkok
en 1954, accompagné de
Chaluey, son épouse siamoise.
Un seul de ses romans sera
traduit en français : ‘La Guerre
de l’Orchidée’ très belle histoire
où l’héroïne, la belle orchidée-
courtisane, incarne à elle seule,
la résistance du petit peuple
siamois face à la brutalité
du monstre japonais. ‘Le gou-
vernement et le peuple s ‘incli-
nèrent poliment devant les seig-
neurs de la guerre japonais. Le
Siam plie l’échine sans jamais
casser’ résume Sparrow dans sa
préface…
Le roman commence en 1941,
dans le night-club à la mode, le
‘Palmier d’Or’. Ce soir là, l’auteur
et un ami américain sont
installés près du bar lorsqu’ils
voient arriver la jolie Nicole,
une ‘nouvelle recrue’ leur précise
le directeur du cabaret.
Nicole a dix-sept ans. Elle n’est
pas très grande, mais elle est ra-
vissante. Nicole s’appelle Pitsa-
wongse, car elle est Eurasienne.
Elle possède le courage et l’es –
prit de son père français et la
grâce et l’insouciante gaieté de
sa mère siamoise.
La rapide lune de miel de
l’héroïne et du jeune homme
sera interrompue brutalement
par l’arrivée de la soldatesque
japonaise le matin du 8 décembre
1941.. John est emmené en
compagnie de l’auteur au camp
de Tha Prachan.
Ils ont le temps de voir les vain-
queurs en train de dresser une
palissade de planches pour
dissimuler la statue de la reine
Victoria qui trône devant l’am-
bassade britannique occupée.
Ils ne la détruiront pas…
Et puis c’est la vie dans le
camp, avec l’héroïsme de ces
Australiens qui ont caché un
poste radio et qui seront emmenés
par leurs bourreaux vers la
sinistre Villa Sala Daeng de la
Kempetaï, et aussi les lâchetés
et les trahisons d’autres…
Et puis ce jour où nos deux
héros arrivent à récupérer un
journal local et avec stupeur,
découvrent la photo de la jolie
Nicole passant au cou du général
Shiro Tanaka, le chef de
l’armée d’occupation, un collier
de fleurs… Nicole, à l’image de
son pays, avait-elle cédé à
l’ occupant ? Avait-elle trahi ?
François Doré.
Librairie du Siam et des
Colonie.