Fig. 59 : Le sourire de la jolie Thaïe Dam de Tuan Chao découvre ses incisives plaquées or.
C’est incontestablement un des très grands attraits d’un voyage vers Dien Bien Phu : la découverte des villages de la Haute Région et des ethnies si diverses qui les peuplent. Si les paysages sont superbes, les rencontres, au hasard des routes de montagne, de toute une population laborieuse, travaillant dans les champs ou se regroupant le temps d’un marché au bord d’une route poussiéreuse, restent les moments les plus marquants de ce voyage tout au long de la Route Provinciale no 41 (RP 41).
Dès les premières montagnes, après Hoa Binh, les décors changent. Le long des routes, on croise des hommes et des femmes qui marchent. Pas de voitures et à cette époque, pas encore de motocyclettes. Les villages se cachent sur les pentes des montagnes, toujours très difficiles d’accès. C’est seulement près des rivières que se regroupe cette humanité : à la fin du jour, où l’on va se laver des souillures du travail des champs, mais aussi le long de ces ponts suspendus que l’on retrouve partout et qui mènent de la route vers le village.
Fig. 60 : pont suspendu dans la montagne.
A partir de Son La, on entre dans le pays des Thaïs Noirs (Thaïs Dam). La vallée de Tuan Chao était une vallée heureuse, riche et les habitants portaient fièrement leurs costumes traditionnels. Mais déjà, les chapeaux coniques du delta colonisateur, commençaient petit à petit à recouvrir les coiffes de tissus bariolés. Les jeunes filles étaient rieuses et timides.
Fig. 61 : Thaïes Dam au marché de Tuan Chao.
Les sommets alentours étaient eux le domaine des Hmongs. Restés farouches, il était difficile de les apercevoir, comme ici, une rencontre fugitive au marché de Son La.
Fig. 62 : jeunes filles Hmong à Son La.
En haut du ‘col des Méos’ maintenant désert, seuls quelques femmes et enfants Hmong devaient quitter leurs villages traditionnels ; les autorités souhaitaient les reloger autre part.
Fig. 63 : Famille Hmong sur le départ.
A Tuan Giao, deux jeunes filles Hmong coquettes et rieuses nous offrent l’éclat des couleurs de leurs vêtements.
Fig. 64 : Au village de Tuan Giao.
Sur le bord de la route, dans un petit marché, on retrouve mêlées, de bien belles femmes, Hmong et Thaï Dam, venues vendre les produits de leurs champs et qui pouvaient repartir vers leurs villages avec quelques objets de première nécessité.
Fig. 65-66 : les belles montagnardes du marché.
Selon les légendes Thaï et Lao, la vallée de Dien Bien Phu est considérée comme le lieu de la naissance de la race Thaï. Dans la langue Thaï-Lao, le nom de la vallée de Dien Bien Phu est Meuang Thène, soit la ville divine. Selon la légende lao de Khun Bourom, c’est là que sont nés les Thaïs, sortis d’une courge miraculeuse.
Le 20 novembre 1953, quand les premiers parachutistes français ont sauté sur DBP lors de l’opération Castor, ils ont trouvé, au centre de la plaine, un gros village thaï de plus de 100 maisons traditionnelles sur pilotis. La vie était idyllique pour la population Thaï Dam dans cette immense plaine, riche de ses rizières. ‘La vallée récoltait près de 2,000 tonnes de riz par an et était connue depuis longtemps comme l’un des principaux centres de culture et de traitement de l’opium d’Indochine. Pour le Vietminh, cet opium est un important moyen d’échange permettant de se procurer au marché noir, armes et médicaments ‘. (Bernard Fall, ‘Dien Bien Phu un coin d’enfer’, p.33). C ‘est sur les montagnes environnantes, que les Hmongs cultivaient le pavot. Ils rejoignaient les marchés thaï dam dans la plaine pour y vendre leur récolte.
Dès leur arrivée au sol, les soldats français vont devoir récupérer dans les villages, les matériaux de construction destinés à l’édification d’abris souterrains. Ces villages ne seront jamais reconstruits, mais les Thaïs Dam réinstallés plus loin, feront bon ménage avec les troupes françaises et continueront à vivre dans la vallée.
Fig. 67 : jeunes filles thaïes dam sur la piste Pavie.
En 1988, les villages étaient encore nombreux dans la vallée. Au nord du site, au pied du point d’appui Béatrice, tout un village est descendu dans le cours de la Nam Youn pour participer à une pêche collective.
Fig.68-69-70 : pêche collective des Thaïs Dam dans la Nam Youn.
Au-dessus du village, dans la montagne, un étonnant assemblage de bambou pour marquer la tombe d’un haut personnage et l’exposition du corps du défunt.
Fig. 71 : installation funéraire.
Le marché de Dien Bien Phu était en pleine expansion. On y construisait de nouveaux bâtiments et les paysannes vietnamiennes aux chapeaux coniques et aux vêtements bien ternes, commençaient à remplacer les Thaïes Dam et leurs costumes colorés.
Fig. 72 : le marché de Dien Bien Phu en travaux.
Fig. 73 : le marché.
Sur un côté du marché, une scène pénible : les villageois ont attrapé un malheureux python de plus de cinq mètres de long. Ficelé sur un mât de bambou, ils vont entailler sa queue et recueillir goutte à goutte son sang pour, une fois mélangé à de l’alcool, en faire une boisson aux propriétés médicinales ( ?).
Fig.74-75-76 : le supplice du python.
L’État communiste du Vietnam a toujours considéré les ethnies montagnardes qui peuplent la Haute Région, comme peu sensibles aux attraits du régime politique et économique qu’il défend. Nombreuses d’ailleurs furent celles qui choisirent plutôt le camp des Français pendant leur guerre contre les forces vietminh.
Mais que va-t-il rester de ces beaux villages traditionnels ? Ces femmes si belles, ne vont-elles pas quitter leurs atours colorés au profit du blue-jean ? Vont-elles couper ce lourd chignon, dont leurs aînées étaient si fières ? Et tous ces magnifiques vêtements, sont-ils destinés à amasser de la poussière dans les vitrines des musées d’ethnologie ? Leurs vies, leurs coutumes, leurs danses mêmes, ne seront-elles plus que des images du passé qui ne survivront que dans de pathétiques spectacles folkloriques mis en scène pour des touristes en mal d’exotisme ?
Nous pourrions parodier les inquiétudes de l’écrivain Roland Dorgelès, qui déjà en 1935, tout au long de sa ‘Route Mandarine’ s’inquiétait de la disparition d’une certaine Indochine et se désolait ‘d’un nouvel exotisme, passage du palanquin à la 5CV: hâtez-vous, derniers voyageurs, bientôt il ne restera plus rien demain de la vieille Indochine !’. L’inquiétude est la même pour l’avenir des ces Hautes-Régions : verrons-nous bientôt ces belles montagnardes, chevaucher des motocyclettes, coiffées de casquettes à visière et habillées de mini-shorts en jean effrangés ?
Ainsi, petit à petit, le Dien Bien Phu des montagnards va malheureusement disparaître et la petite ville pittoresque sera remplacée par une métropole laide et sans âme. Les vestiges historiques vont se retrouver au milieu de la nouvelle ville. Les chars et les canons rouillés sur lesquels on installera des pots de fleurs, serviront bientôt de ronds-points à une circulation automobile bruyante et anarchique. Les quelques sites conservés seront transformés en parcs d’attractions pour Vietnamiens endimanchés, et seul le souvenir des hommes conservera le sacrifice de ces milliers de soldats qui se battaient pour leurs pays, unis dans une mort glorieuse, et dont les restes oubliés, continueront à sanctifier cette vallée, ‘la cuvette de Dien Bien Phu, pétrie de chair humaine’ (Jules Roy, op.cit.).
Fig. 77 : vue vers l’ouest de l’ensemble de la vallée de Dien Bien Phu depuis le haut de Dominique 2. La piste d’aviation est au milieu.
François Doré.
Librairie du Siam et des Colonies. Bangkok.
Fig. 78 : Au temps où les plus curieux n’étaient pas ceux auxquels on pense.
Fig. 79-80 : à Jean-Philippe et à Michel. In Memoriam.
Toutes les photographies sont propriété de l’auteur
A NOUS LE SOUVENIR A EUX L’IMMORTALITÉ