Le poilu oublié de Bangkok
Il est là, droit, le regard fixe, sous son casque Adrian, emmitouflé dans sa grossière capote d’hiver. Une large écharpe protège sa peau dorée de la morsure du froid… Pense-t-il au soleil de son pays, à la lumière des paysages du Siam, à la chaleur des siens ? Tout ce qui lui manque dans cette Europe froide et inconnue.
Comme 1,284 compatriotes, il a quitté au printemps 1918 son pays, le Siam, pour venir participer aux côtés des Alliés à la lutte contre l’agresseur allemand.
Une guerre qui le dépasse, des intérêts qui ne sont pas les siens, mais un combat pour défendre la liberté contre le barbarisme. C’est cela qu’il a compris et c’est pour cela qu’il n’a pas hésité à se porter volontaire pour ce grand voyage vers un autre monde.
Ils partirent, mais 19 ne revinrent jamais. Non pas morts au combat, mais souvent morts de froid tout au long d’un hiver épouvantable dans le nord de l’Allemagne où les avait envoyés les drôles de décisions d’un État-major qui ne connaissait peut-être pas la vie quotidienne de ces enfants du soleil, bien mal équipés pour affronter les rigueurs hivernales de notre continent.
Le contingent siamois au défilé du 14 juillet 1919 à Paris.
Et lui, dont nous ne connaissons pas le nom ? A-t-il défilé, en pleine gloire, le 14 juillet 1919 sur les Champs-Élysées parisiens, est-il rentré dans son pays, fort du prestige d’un ancien combattant héroïque, revenu victorieux sur le sol de sa Patrie ? Ou bien a-t-il fait partie de ses compatriotes, morts pour la liberté, bien petit contingent de sacrifiés, mêlés aux millions de morts de la Grande Guerre ?
Nous ne le savons pas…
La statue est en bronze de couleur beige et mesure 80 cm de haut sur 30 cm de large. Elle porte la prestigieuse signature de Paul Ducuing, célèbre sculpteur français. Envoyé en mission en Indochine en 1921-22, il réalisa la statue d’Auguste Pavie au Laos, celle de l’empereur d’Annam Khaï Dinh et celle du roi Sisowath qui se trouvait autrefois au Palais Royal et aujourd’hui est au Musée National.
Le roi Sisowath : La statue et le modèle. Paul Ducuing est à droite.
Le propriétaire ne se rappelle plus l’origine de cette statue mais déclare la posséder depuis plus de 15 ans. Pour lui, elle représente le roi Rama VI Vajiravudh, ce qui nous semble inexact. Mais c’est aussi pour cela sans doute qu’il en demande le prix déraisonnable de 36,000 dollars…
Il est là, aujourd’hui, dans le coin d’une galerie d’antiquités du 4ème étage de River City, tristement oublié. Bien sûr il serait mieux dans la chaleur historique d’un Musée de son pays, image muette du courage de ses compatriotes…
Nous ne pouvons que souhaiter que ces quelques lignes puissent rappeler à la Nation thaïlandaise, le sacrifice de ses enfants.
François Doré |
A NOUS LE SOUVENIR
A EUX L’IMMORTALITÉ
PS : Cette étonnante découverte nous a été signalée par Jean-Francois Chéneau, amateur d’art.