Notre société d’aujourd’hui, confond en une seule journée les fêtes religieuses catholiques de la Toussaint (1er novembre) et le jour de la Commémoration des fidèles défunts du lendemain (2 novembre).
Mais c’est bien un 2 novembre des années trente, au bout du monde, dans l’île de Poulo-Condore, au large des côtes du Vietnam qu’un petit groupe de Français s’était rassemblé autour des tombes de son petit cimetière, pour honorer la mémoire de ses morts.
Parmi ces témoins recueillis, se trouvait Paul Chaussidière. Totalement oublié aujourd’hui, il était pourtant Gardien Principal dans le célèbre bagne qui se trouvait dans l’île. Et ce gardien, avait une passion cachée : il était poète ! Poète au point de faire publier à Saïgon, en 1937, un petit volume de ses oeuvres, avant de retrouver la Métropole et sa famille à Surgères en Charente-Maritime.
C’est par hasard, que nous avons pu retrouver un rare exemplaire de son ‘Petit recueil de Rimes Libres sur l’Indochine’.
Nous sommes donc très heureux, en ce jour de commémoration, de vous faire partager les émotions de cet auteur.
François Doré.
Librairie du Siam et des Colonies.
Bangkok.
A NOUS LE SOUVENIR A EUX L’IMMORTALITÉ
Le jour des Morts à Poulo-Condore.
Poulo fête ses morts, glorieux et vénérés,
Le coquet cimetière artistement décoré,
Est abrité du vent par la montagne géante,
Car la mousson souffle de sa gueule béante.
Les tombes alignées, tel un vivant escadron
Resplendissent de lumière, sous le badigeon ;
Des fleurs de toutes sortes, aux couleurs variées
Rendent hommage aux héros, avant de s’effeuiller.
Le Directeur ému, imposant et solennel,
Préside la cérémonie annuelle ;
Près de lui, les officiers, scintillant de dorures.
Immobiles, saluent, la main à leur coiffure.
La sonnerie ‘Aux morts’, religieusement écoutée,
Retentit douloureusement dans l’enclos sacré ;
Les morts, eux-mêmes, réveillés par les sanglots,
Tressaillent de joie, au fond de leurs tombeaux.
Dans un cliquetis d’armes, qui stimule la foi,
Le Père bénit les tombes, d’un large signe de croix ;
Et le monument des victimes, non identifiées,
Symbole glorieux des pionniers de l’île enchantée.
Après les honneurs militaires, les insulaires
Visitent les tombes et s ‘agenouillent en prière,
En pensant aux rustiques cimetières français,
Où d’autres disparus dorment, à l’ombre des cyprès.
En sortant, une pensée domine les esprits
Et rappelle divinement, aux pèlerins contrits,
Les vastes charniers, de la grande échauffourée,
Et ses héros, morts pour sauvegarder la liberté.
A Poulo-Condore, le champ de l’éternel repos,
Couronné par les spirales gracieuses des oiseaux,
Est, par les vivants pieusement visité et orné,
Nul ne se soustrait, à ce pélerinage sacré.
Paul Chaussidière
Gardien Principal.
Bagne de Poulo-Condore.