Les aviateurs rebelles de l’Indochine

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1/ André JUBELIN :   « Marin de métier. Pilote de fortune ».

@ wikipedia

Il est sans doute le plus célèbre de ces aviateurs qui refusèrent d’adhérer à l’Indochine vichyste de l’amiral Decoux et s’enfuirent pour rejoindre les Forces Françaises Libres du général de Gaulle.

En 1940, le lieutenant de vaisseau André Jubelin est Directeur de tir du croiseur ‘LamottePicquet’, le navire-amiral de l’escadre d’Indochine. Devant la défaite de sa Patrie et le ‘maréchalisme’ affiché du Gouverneur Général de l’Indochine, il décide de poursuivre la lutte et de rejoindre la France Libre.

Le problème alors était de comment faire pour échapper au blocus imposé par l’Amiral dès l’automne 1940.

Pour cela, il va imaginer plusieurs scénarios : d’abord convaincre l’équipage du croiseur et rallier Singapour pour rejoindre la marine de la France Libre. Mais les ardeurs combatives des premiers jours s’étant rapidement émoussées chez beaucoup, il dut renoncer à ce projet.

Rappelons ici l’état d’esprit de l’équipage du croiseur tel qu’il est rapporté par le capitaine de corvette Jean Sommet dans son ouvrage ‘Campagnes lointaines. Carnets de bord du Lamotte-Picquet 1935-1945’ : ‘Dans les postes d’équipage, des groupes se forment, pour ou contre. Le Commandant Bérenger a pris sa décision : lui-même et son navire resteront dans le sillage de l’Amiral Decoux. Mais devant le flottement qui se manifeste à bord, il décide, le 1er juillet 1940, de prendre fermement position devant l’équipage réuni, dans un discours musclé : si vous voulez appareiller pour Singapour, il faudra d’abord me jeter à l’eau… Sans enthousiasme, l’assemblée approuve…’. (p. 93).

On retrouve la description de ces moments dans le livre du contre-amiral Romé. Selon lui une bonne moitié de l’équipage aurait souhaité un départ vers Singapour, mais il écrit que c’est la nouvelle du drame de Mers-el-Kébir, le 3 juillet, soit le lendemain de la déclaration de leur ‘pacha’ qui déclencha le revirement complet de l’attitude de nos marins.

Signalons ici qu’il y avait du ‘beau monde’ à bord de ce Lamotte-Picquet en juillet 1940 : l’amiral Decoux, bien sûr, mais aussi le Cdt Bérenger, les capitaines de frégate Ducoroy et Auboyneau, et le lieutenant de vaisseau Ponchardier. Tous restèrent fidèles à l’amiral.

Comme nous le verrons ensuite, donc seuls parmi l’équipage, le quartier–maître Chapuzot et le LV. Jubelin oseront désobéir aux ordres du futur vainqueur de Koh Chang.

Jubelin imagina ensuite, lui le marin, s’évader à bord d’une jonque locale en partant du Golfe du Siam et rejoindre la Malaisie britannique. Il comprit que ceci serait trop risqué et qu’il aurait du mal à franchir la surveillance française des côtes.

Il ne lui restait alors plus que la solution d’une évasion par les airs. Jubelin a été un des précurseurs de l’Aéronavale où il a obtenu son brevet de pilote.

Plutôt que d’essayer de s’emparer d’un appareil militaire ou même civil pour quitter l’Indochine, il décide d’échapper à la surveillance incessante dont il est l’objet et d’utiliser pour sa fuite, le petit appareil d’aéro-club qu’il avait l’habitude de louer pour se rendre en visite dans des plantations amies, un ‘Caudron Pélican’ quadriplace.

Caudron C510 Pélican. @ capture écran.

Il prévoit de s’échapper avec deux camarades, les lieutenants Jean Arnoux, polytechnicien, ingénieur des Ponts et Chaussées, aviateur, originaire de Petitmont (Meurthe et Moselle) et Louis Ducorps, ‘petit Breton aux yeux clairs’ , né à Lorient (Morbihan), artilleur qui vient de passer son brevet civil.

Le départ est prévu pour le 4 novembre 1940.

La distance entre Saïgon et Singapour est à peu près celle qui sépare Lisbonne de Londres. La faible contenance du réservoir va demander trois ravitaillements en essence pour pouvoir effectuer tout le parcours. Le premier sur la côte cambodgienne et les deux autres dans des conditions rocambolesques et acrobatiques, en rampant sur l’aile de l’avion en plein vol.

Finalement et après bien des frayeurs, ils arriveront à se poser sur un petit aérodrome occupé par l’armée britannique au nord de la Malaisie. Ils rejoindront au bout de quelques jours Singapour, et c’est le 13 décembre 1940 qu’ils pourront embarquer sur un navire anglais, direction Durban, puis l’Ecosse et enfin rejoindre Londres et les Forces Françaises Libres.

@ www.francaislibres.net

André Jubelin, malgré ses vœux, sera d’abord nommé commandant du vieux cuirassé ‘Courbet’ et ce n’est qu’en juin 1941 qu’il pourra prendre la tête d’une escadrille ‘Free French’ sur Spitfire.

En août 1942, il reprit la mer à bord de l’aviso Savorgnan de Brazza puis du croiseur léger des Forces navales Françaises Libres, le Triomphant. C’est alors qu’en 1945, Jubelin reçut l’ordre de rejoindre l’Indochine avec son bâtiment. C’est donc encore par un de ces hasards dont l’histoire a le secret que le commandant Jubelin allait revenir en vainqueur dans ce Saïgon, qui avait connu sa fuite et sa condamnation à mort par contumace pour désertion.

Tout l’État-major de la Marine Indochine aligné sur les quais, se demandait bien alors si les marins de la France Libre, allaient leur demander des comptes… ‘Jubelin eut l’élégance du vainqueur et de ne laisser voir que sa joie de fouler à nouveau la terre d’Indochine’. (Poujade, 1997, p. 51).

Le croiseur léger ‘Le Triomphant’ @ Jubelin p.272.

Après de nombreuses opérations navales en Indochine, plus tard André Jubelin commandera le porte-avions Arromanches, ‘puis l’ancien officier déserteur en temps de guerre et condamné à mort, recevra les étoiles d’Amiral.

Ses deux camarades d’évasion ne virent pas le jour de la Victoire, pour laquelle ils avaient osé l’aventure’. (Poujade, 1997, p. 52) : selon l’ouvrage du commandant Jubelin, c’est le 1er octobre 1941 que Jean Arnoux a été tué lors d’un vol d’entraînement sur un Fairey-Battle en Écosse. Il sera inhumé dans le cimetière de Dumfries. (Jubelin, 1951, p. 112).

Louis Ducorps lui décèdera le 6 juin 1943 aux commandes de son Mosquito, qui est sorti de la piste et s’est écrasé en flammes. (Jubelin, 1951, p.343).

Paris, Éditions France-Empire, 1951.

Paris, Éditions France-Empire, 1956.

Le commandant Jubelin racontera sa fuite de l’Indochine vichyste puis ses combats en Indochine dans son livre : ‘Marin de métier, pilote de fortune’ paru en 1951 aux éditions France-Empire. Puis en 1956, chez le même éditeur, cette fois-ci c’est le contre-amiral Jubelin qui écrira ‘Pilote d’hélicoptères’.

Il commandera l’Aviation navale en Méditerranée, puis vice-amiral d’escadre, il prendra le commandement de l’escadre de la Méditerranée. Il sera élevé au grade d’amiral en 1963 et terminera sa carrière en 1967 comme Inspecteur Général de la Marine.

Né le 28 juillet 1906 à Toulon, il décèdera le 7 mai 1986 à Sanary-sur-Mer. (site Wikipedia).

François Doré
Le Souvenir Français de Thaïlande.

 

Index des ouvrages cités :

– JUBELIN Cdt. : ‘Marin de métier, pilote de fortune’. Paris, France-Empire, 1951.

– POUJADE René : ‘Cours martiales. Indochine 1940-1945’. Paris, La Bruyère, 1997.

– ROME Contre-amiral : ‘Les oubliés du bout du monde. Journal d’un marin d’Indochine de 1939 à 1946’. Éditions Maritimes & d’Outre-Mer, 1983.

– SOMMET Jean : ‘Campagnes lointaines. Dans les replis du dragon. Carnets de bord du croiseur Lamotte-Picquet. 1935-1945’. Bourg d’Oisans, l’Atelier, 1998.

A NOUS LE SOUVENIR                A EUX L’IMMORTALITÉ

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