Il a été beaucoup écrit sur le monument que l’on rencontre aujourd’hui à Dien Bien Phu. On en trouve de nombreuses photos sur internet, et nombreux sont les articles à la gloire du Légionnaire Rolf Rödel qui a construit à partir de 1994, le monument que l’on peut voir aujourd’hui.
Fig. 21 : Le monument de Rolf Rödel.
Mais nous souhaitons ici présenter le site tel qu’il était autrefois, avant 1994. On trouvait un petit enclos, entouré d’une enceinte de ciment, situé au milieu des champs de maïs, trois cents mètres environ après les toits de tôles du bâtiment conservé du PC.
Fig. 22 : Le P.C. en 1988.
Au milieu de cet enclos, se trouvait une grande dalle en ciment. Peut-être était-ce le soubassement d’un monument projeté par les autorités vietnamiennes, puis abandonné ( ?).
Fig. 23 : l’enclos et la base de ciment au milieu des maïs en 1988
Nous ne savons pas de quand datait ce modeste monument, mais nous ne pouvions nous empêcher de nous rappeler les termes du ‘Requiem pour la bataille de Dien Bien Phu’ du journaliste Jules Roy que nous citons ici. Sa visite du site date de 1963 :
Fig. 24 : Dien Bien Phu de Jules Roy.
« Dans ce vaste rassemblement d’épaves, un seul cimetière de cinq cents combattants vietminh, dominé par une façade en forme de pagode, a été aménagé au pied des pitons d’Éliane. Cinq cents corps identifiés, sur les dix mille morts de l’armée populaire ? Voilà tout ce qui est réservé aux morts de cette vaste tuerie. Des anciens cimetières français d’Isabelle et de Claudine, recouverts à présent sous les maïs ou la brousse… il ne reste rien. Partout je demandais où étaient les tombes des nôtres. On ne me répondait pas…. Je demandai qu’on élève au moins une pierre à la mémoire des soldats français morts à Dien Bien Phu….
Quelques jours plus tard, je rencontrai le général Giap. C ‘est lui qui me dit le premier : en ce qui concerne les morts français de Dien Bien Phu, eh bien, il sera fait comme vous le souhaitiez. Leurs corps, si nous en trouvons, seront rassemblés et un monument pourra être élevé à leur mémoire… ».
Cet enclos aurait-il été construit sur les instructions du général ? Nous ne le savons pas, mais le monument vietnamien qui devait surmonter la dalle de béton, ne verra jamais le jour, et il faudra attendre l’arrivée de Rolf Rödel…
On peut cependant remarquer que l’endroit avait été soigneusement choisi, puisque, si l’on se réfère aux photos anciennes, c’est à peu près là que se situait le cimetière du bloc central des Claudines. Il est facile de se repérer par rapport au pont Bailey, qui était toujours debout et en bon état.
Fig. 25 : le cimetière provisoire français. Il peut être situé par rapport au pont Bailey que l’on aperçoit en haut à droite de la photo, à côté de l’arbre en boule.
Fig. 26 – 27 : le pont Bailey en 1988.
Il y aurait peut-être également une autre explication : est-ce que ce modeste enclos n’était-il pas le reste de l’enceinte de ce que l’on appelait pendant la bataille, ‘le pagodon’ ?
On se rappelle que tout l’espace occupé par le centre du dispositif français, c’est à dire le PC et les Claudines, était, avant l’installation des troupes françaises, l’emplacement de la ville principale des Thaïs Dam (Thaïs Noirs) de la vallée. Et le général Mengelle, dans son ouvrage (p.49) décrit l’installation d’une partie des Schaffee à cet endroit, ‘un carrefour où se trouvait autrefois une sobre petite pagode’. Alors peut-être, ce petit enclos serait-il le reste de la pagode des Thaïs ( ?). Mais ceci n’est qu’une hypothèse.
En 1988, l’endroit était complètement recouvert de végétation, et nous avons pu en arracher de quoi dégager le socle (fig. 23). Et c’est à ce moment là que nous avons découvert sur le rebord de la construction, une humble plaque de pierre, scellée sur le socle. Nous joignons une photographie de cette plaque.
Fig. 28 : la première plaque en 1988.
Ce n’est qu’un peu plus tard, que nous allions découvrir la véritable histoire de cette plaque, telle que nous l’a racontée l’ambassadeur de France en Thaïlande S.E. Yvan Bastouil, en 1988 à notre retour du Vietnam.
Yvan Bastouil fut ambassadeur de France à Hanoï de décembre 1981 à janvier 1986 avant de prendre ses fonctions à Bangkok de 1986 à 1989.
C’est au cours de sa mission au Vietnam qu’il fit fabriquer dans les vieux quartiers de Hanoï la plaque représentée ici et qu’il la fit poser sur le socle de ciment. Bien sûr certains vieux soldats avaient regretté de ne pas voir mentionner les sous-officiers, qui avaient été si important tout au long de cette bataille, mais au moins une autorité de la République avait apporté, de sa seule initiative, la preuve d’un hommage à tous ces morts pour la France, bien oubliés jusque là.
Rappelons ici qu’un seul Président de la République française, à ce jour, s’est rendu sur le site de Dien Bien Phu : François Mitterrand, en février 1993, accompagné de deux anciens témoins de la bataille, le chef des Armées le général Maurice Schmitt et Pierre Schoendoerffer, qui était au Vietnam à ce moment là pour tourner son futur film. Sorte de pèlerinage également puisque, quelque 40 ans auparavant, au moment de la bataille, François Mitterrand était déjà ministre de la République, et qu’il avait dû suivre jour par jour le déroulement de la bataille. Rappelons également qu’il avait écrit en 1953 un livre ‘Aux frontières de l’Union française’, dans lequel il critiquait ‘l’opiniâtre maintien de la France en Indochine’ (p. 23).
Fig. 29 : François Mitterrand et Pierre Schoendoerffer.
Fig. 30 : Julliard, 1953.
La plaque ‘historique’ fut reprise ensuite sur la face de l’obélisque construit par Rolf Rödel (fig. 31), mais nous pouvons voir sur des photos plus récentes, qu’elle a été remplacée par une plaque en cuivre étincelante. Nous ne savons pas ce qu’est devenue la plaque d’origine et nous en regrettons sincèrement la disparition.
Fig. 31 : En 1997, le nouvel obélisque portait bien la plaque historique.
Nous nous permettons également de revenir ici sur le commentaire de Jules Roy et du cimetière vietnamien qui se trouve au pied d’Éliane 2, présenté par l’auteur comme étant l’unique hommage rendu à leurs morts par les Vietnamiens.
La piste d’aviation française qui longeait la Piste Pavie n’existe plus aujourd’hui. La piste moderne a été déplacée vers l’est.
Fig. 32 : la piste d’aviation en 1988. Plus d’avions, mais on y fait sécher le riz.
Nos visites dans le site en 1988, et plus particulièrement du point d’appui Gabrielle, situé tout au nord de la ‘cuvette’ et de la piste d’aviation (Fig.32), surnommé par les troupes françaises ‘le torpilleur’, nous ont fait découvrir, au pied du versant est de la colline, un gigantesque cimetière vietnamien, comportant plusieurs centaines de tombes. (Fig.33) La présence de ce cimetière est rarement mentionnée, et son importance, est la preuve de l’âpreté des combats qui eurent lieu tout au long de la nuit du 14 au 15 mars 1954, au cours de laquelle les ‘Turcos’ du 7ème Régiment de Tirailleurs Algériens se sont battus comme des lions contre des forces très supérieures en nombre.
Fig. 33 : au pied de Gabrielle d’où est prise la photo, un gigantesque cimetière vietnamien.
La coutume vietnamienne d’enterrer ses morts là où ils sont tombés, révèle l’effroyable carnage que durent subir les bo doïs de deux des divisions du général Giap au cours de cette nuit sanglante.
Fig 34 : La ‘cuvette’ vue plein sud depuis le point d’appui Gabrielle au nord.
La route au milieu est la piste Pavie.
La première colline au loin à gauche est Dominique 2, la plus haute du site.
Peut-être parler d’une plaine, plutôt que d’une cuvette ?
C’est peut-être d’ailleurs, aux yeux des historiens, les tristes évènements de cette nuit bien particulière, la nuit de Gabrielle, qui ont scellé le sort du camp retranché.
François Doré.
Librairie du Siam et des Colonies. Bangkok.
Toutes les photographies sauf les fig. 21-25 et 29 sont propriété de l’auteur.
A NOUS LE SOUVENIR A EUX L’IMMORTALITÉ